Prendre langue, converser

Pratique autant qu’éthique, la conversation demande une certaine élocution pour être comprise, du vocabulaire pour dire les choses et de l’écoute pour entendre l’autre. En acte partagé, elle construit une relation et, en équilibre sur un fil, joue avec les convenances et les inattendus. À toi, à moi : une chorégraphie s’installe, celle du corps et des mots.

Est-il possible d’en faire l’histoire ? Mais aussi de signifier qu’elle serait aujourd’hui en danger ? Face aux fracas du monde, aux émotions personnelles et collectives, au besoin de réagir, comment préserver les codes d’une conversation qui garantisse à la fois la libre parole et l’écoute sincère ? Peut-elle supporter la logique contemporaine qui relie la prise de parole à la défense d’un camp ? Et que dire des effets des usages numériques sur nos manières de communiquer, de nous parler, de nous rencontrer hors des écrans ? Si la conversation est une façon de se réunir, c’est aussi une condition pour faire société, car elle tient en elle cette part de civilité nécessaire à son bon usage. Cette même civilité qui vient avant la pensée, et qui faisait dire à Lévinas : « avant le cogito, il y a bonjour ».

Converser, c’est donc se reconnaître, se comprendre et faire un pas vers l’autre. Une question posée au sens même du langage et à ses fonctions. À l’heure de l’intelligence artificielle et des agents conversationnels, mais aussi des débats décrétés « impossibles », c’est peut-être notre humanité qu’il s’agit ainsi de considérer et de défendre.

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Table ronde animée par Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef de La Croix

Avec
Lætitia Bucaille Professeure de sociologie politique à l’Inalco, membre du Centre d’études en sciences sociales des mondes africains, américain et asiatique (CESSMA–UMR 245), elle est aussi membre de l’Institut universitaire de France. Arabophone, elle a travaillé essentiellement sur les territoires palestiniens, sur Israël, sur l’Algérie et sur l’Afrique du Sud. Elle s’intéresse aux conflits ainsi qu’aux sorties de conflits, à la construction de la paix et à la justice transitionnelle.
Dernier ouvrage paru : Gaza, quel avenir ?, Stock, 2025.

Pierre Chiron
Helléniste, philologue et historien de la rhétorique dans ses liens avec la politique, la philosophie et l’éducation. Il est par ailleurs professeur émérite de langue et littérature grecques à l’université Paris-Est Créteil, membre de l’Institut universitaire de France. Il est l’auteur de Manuel de rhétorique. Comment faire de l’élève un citoyen (2018) et a dirigé une édition novatrice des Discours de Démosthène, défenseur de la liberté dans l’Athènes du ive siècle av. J.-C.
Dernier livre traduit : Démosthène, Discours, traduit du grec ancien par Pierre Chiron (dir.), Les Belles Lettres, 2023.

Gloria Origgi
Philosophe, directrice de recherche au CNRS, elle travaille à l’Institut Jean-Nicod de l’École normale supérieure, où elle dirige l’équipe de recherche sur les normes épistémiques. Ses travaux se concentrent principalement sur les questions de philosophie sociale, d’épistémologie et de philosophie des nouvelles technologies. Depuis 2025, elle est membre du conseil d’administration du think tank français Evidences, dont l’objectif est de faciliter la pénétration de la science dans les sociétés démocratiques.
Dernier ouvrage paru : La vérité est une question politique, Albin Michel, 2024.